Un ouvrier devenu écrivain : vitaminedz.com

Un ouvrier devenu écrivain : vitaminedz.com

Un ouvrier devenu écrivain : vitaminedz.com

Le parcours d’Ali Mebtouche est étonnant. Emigré d’Algérie à moins de 20 ans, il s’installe dans la région lyonnaise où il travaillera toute sa vie à l’usine. Par le hasard d’un atelier d’écriture, le démon de la plume le prend alors qu’il arrive à la retraite. Trois livres sont publiés avec un contenu qui mérite le détour, un quatrième est en cours.


Lyon : De notre correspondant

 

Ali Mebtouche est né à Aït Aïssa Mimoun, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Alors que la guerre fait rage dans les zone militaires, il est scolarisé par les soldats français de 13 à l’âge de 15 ans. Certainement déjà les sonorités de la langue de Voltaire parlaient à sa soif de connaissances et il va y goûter pleinement au point de vouloir découvrir ce qui se cache derrière le miroir. Il n’a que 19 ans lorsqu’il émigre en France. Il raconte ce départ dans son dernier livre Le voyage de Mohand réédité en 2008 aux éditions Le Manuscrit.

Il parle d’un rêve qui remonte à l’enfance : « Depuis sa plus tendre enfance, Mohand était obsédé par l’idée de quitter un jour son village natal pour émigrer dans le pays de ses rêves : la France. Ne voyant rien arriver dans l’Algérie indépendante en laquelle tous les Algériens espéraient une vie meilleure, Mohand préféra s’exiler, comme tant de jeunes de son âge, et partir à la recherche du paradis que les anciens émigrés, après des années passées en France, leur faisaient miroiter lorsqu’ils étaient enfants. Mais avant tout, Mohand devait faire une demande auprès de la nouvelle administration de son pays pour se faire délivrer une carte nationale d’identité. ».

Au passage, il égratigne la bureaucratie algérienne de la post-indépendance : « Depuis le départ des Français, l’administration algérienne était en panne de cerveaux. On recrutait n’importe qui et n’importe comment. L’employé à la chéchia se trompa en inscrivant la date de naissance de Mohand sur l’imprimé destiné à la préfecture. Mohand s’aperçut vite de l’erreur sur le double de l’imprimé, mais il se tut, car il craignait que l’employé ne s’énerve et qu’il ne les renvoie chez eux jusqu’à une date ultérieure’ »Arrivé en France, Ali Mebtouche est un simple ouvrier OS dans une petite usine pendant huit ans, puis ouvrier professionnel aux usines Marius Berliet, dans la région lyonnaise, devenues Renault véhicules industriels. Dans le cadre de cette France des années 1960, difficiles pour les immigrés algériens, il s’adapte, s’intègre à sa nouvelle vie, au point que l’heure de la retraite sonne, et le plonge dans les délices d’une formation à l’écriture.

Il est tellement bien trempé dans le bain qu’il écrit trois livres. « Actuellement, nous dit-il, je travaille sur l’histoire de mon arrière-grand-père, déporté au bagne de Cayenne vers 1883 pour avoir assassiné un administrateur colonial qui avait humilié tous les habitants de son village. Je raconte sa détention, son évasion, son voyage de retour, en passant par La Mecque, son arrivée au pays, puis sa capture après un séjour dans le maquis ».Une thématique qui ne peut laisser indifférent, comme celle de ses précédents ouvrages. Confortant ses racines berbères dans le milieu associatif, il implique continuellement son terroir dans son écriture, mais aussi des pages douloureuses de notre histoire. Outre Le voyage de Mohand cité plus haut, il publie ainsi en mars 2007 Histoire d’un berger de Kabylie qui se déroule pendant la guerre d’Algérie, avec un regard original sur la traîtrise. « Au début des années 1950, Chabane est mobilisé pour aller défendre les intérêts coloniaux de la France en Indochine. A la fin de son service, marqué à vie par les atrocités vécues dans les maquis marécageux de la guerre d’Indochine, il regagne son village de Kabylie.

Un jour, et pour une histoire banale, il se voit forcé de rejoindre les groupes armés du FLN. Nommé officier, il mène avec ses hommes une guerre d’embuscades acharnées contre l’armée française. Jaloux de ses succès, un de ses officiers prépare un complot contre lui. Averti à temps, il échappe de peu à la mort. Pour se venger, il négocie alors sa reddition à l’armée française et devient un des harkis les plus sanguinaires qu’ait connus la guerre d’Algérie. » Enfin, dans Les cigognes et le pigeon, il revient à ces années de labeur : sa vie en usine. Il offre là une remarquable immersion dans l’univers du travail ouvrier de l’immigration. Un auteur attachant, à découvrir, aux éditions L’Harmattan et Le Manuscrit.

Article paru dans le journal « L’Expression »

Article paru dans le journal « L’Expression »

Article paru dans le journal « L’Expression »

LA PRESSE EN PARLE

On peut avoir le choix. Imaginez que tout va mal au boulot, vous vous sentez harcelé, espionné dans vos activités syndicales. Vous pouvez tout envoyer balader et vous retrouver sans rien pour vivre. Vous pouvez opter pour la violence, vous retourner contre ceux qui vous en veulent et tout perdre. Vous pouvez -et c’est sur cette voie qu’Ali Mebtouche s’est engagé-, prendre un stylo et raconter cette histoire. Une histoire qui s’est déroulée à R-VI dans les années quatre-vingt. « Je voulais faire un journal intime, témoigne-t-il aujourd’hui. À l’époque, cela m’était difficile d’écrire. J’ai trouvé un copain, au comité d’établissement, qui m’a aidé. Ma femme aussi, qui était enseignante. Beaucoup de gens m’ont dit que c’était elle qui écrivait. Je les laisse parler. On ne peut pas décrire à ma place les montagnes de Kabylie. »

Après ce premier livre inspiré par sa vie, « Le voyage de Mohand », Ali Mebtouche en a publié deux
autres: « Les cigognes et le pigeon », sorti en 2003 aux éditions Le manuscrit, puis « L’histoire d’un berger de Kabylie pendant la guerre d’Algérie », paru début mars chez L’Harmattan. « Dans ce livre, reprend Ali Mebtouche, les scènes de guerre que je raconte, je les ai vécues dans mon village quand j’étais gosse. Le berger est un personnage que j’ai connu. Je l’ai appelé Chaban mais ce n’est pas son vrai nom. J’avais 5 ans quand il est revenu d’Indochine. J’ai raconté son histoire, décrit le comportement des militaires français et celui de la population, tiraillée entre le FLN et l’armée française. J’ai fait une enquête, j’ai téléphoné à ma mère en Algérie. Beaucoup d’immigrés d’ici m’ont donné des renseignements. »
Écrire, dit-il, est devenu facile pour lui.
« C’est une passion. Et quand j’ai trouvé un sujet… Pour « Le berger », une dame m’avait demandé d’écrire une dizaine de pages sur la guerre d’Algérie. Plusj’écrivais et plus je voyais l’horizon. Maintenant, je cherche un autre sujet. J’en ai un qui est d’actualité : j’ai un arrière-grand-père qui a été déporté en Nouvelle-Calédonie en 1872. Les hommes comme lui, on les appelait les bandits d’honneur. Actuellement, il existe des Calédoniens qui revendiquent encore leurs origines berbères. 11 faut à présent que je fasse des recherches sur ce thème que ma fille m’a suggéré. C’est elle, d’ailleurs, qui m’a poussé à écrire. Je racontais des histoires à la maison, des contes kabyles. Elle m’a demandé pourquoi ne mettais pas tout cela sur papier. À cette époque, j’étais perturbé. Je travaillais à la forge, un contremaître me cherchait des problèmes et on me prenait pour un pauvre ouvrier incapable de faire quoi que ce soit. Cela m’a
motivé. »

Article de Jean-Charles Lemeunier paru dans L’Expression, 28 mars 2007